Création variétale et brevet : Toujours à suivre.

La grande chambre de recours de l’Office européen des brevets est de nouveau saisie par le président de l’Office à la suite de la résistance de l’une de ses chambres de recours technique sur la question de la brevetabilité des plantes obtenus par des procédés essentiellement biologiques.

La question du régime juridique de protection de la création des nouvelles variétés végétales n’est toujours pas définitivement réglée en Europe.

Rappelons que la grande chambre de recours de l’Office européen des brevets avait causé un certain émoi dans la communauté de la création variétale par ses deux décisions du 25 mars 2015 (G 2/12 et G 2/13 dites « Brocoli II » et « Tomate II ») par lesquelles elle admettait que l’exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques d’obtention des végétaux ne s’étendait pas aux produits obtenus par ces procédés, ce qui ouvrait la voie à une revendication de produit portant sur des végétaux ou du matériel végétal.

Du strict point de vue du droit des brevets, cette prise de position n’avait à vrai dire rien d’étonnant puisqu’il est parfaitement admis qu’un produit puisse être brevetable, tandis que l’article 53(b) de la convention sur le brevet européen n’exclue expressément de la brevetabilité que les « variétés végétales » et « les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention des végétaux ».

Or un produit obtenu par un procédé essentiellement biologique n’entre dans aucune de ces catégories.

Les obtenteurs y ont vu la possibilité de breveter des « gènes natifs » et, ainsi, de limiter sérieusement leur liberté d’accès génétique que leur confère cependant l’UPOV (et le règlement du 27 juillet 1994 instituant la protection communautaire des variétés végétales). Selon ces textes, en effet, tout sélectionneur peut utiliser une variété, même protégée par un certificat d’obtention végétale, comme source de variation à fin de créer de nouvelles variétés. Or tout monopole de droit consenti sur les gènes natifs tend à remettre en cause ce privilège de l’obtenteur.

Afin de mettre fin aux incertitudes créées pas ces décisions, et se rangeant aux avis du Parlement européen du 17 décembre 2015 et de la Commission du 3 novembre 2016, le conseil d’administration de l’Office européen des brevets a adopté le 29 juin 2017 une décision qui exclut explicitement de la brevetabilité les plantes obtenus exclusivement par des procédés essentiellement biologiques.

Techniquement le conseil d’administration de l’OEB a décidé une modification de de la règle 28 du règlement d’application de la convention sur le brevet européen qui dispose désormais que « conformément à l’article 53(b) les brevets ne sont pas délivrés pour les plantes ou animaux obtenus exclusivement par des procédés essentiellement biologiques ». (Voir commentaire Jean-Paul Combenègre in Revue de droit rural octobre 2017, n° 456 page 54).

 

Mais la chambre de recours technique de l’Office européen des brevets a résisté à cette prise de position du conseil d’administration en annulant le refus d’accorder un brevet pour un nouveau poivron aux valeurs nutritionnelles améliorées (Décision T 1063/18 du 5 décembre 2018, Syngenta).

La chambre de recours technique relève tout d’abord que l’interprétation d’une disposition de la convention par la Grande chambre de recours, telle que celle dans G2/12 et G2/13 s’impose à elle.

Elle indique qu’en cas de conflit d’interprétation entre les dispositions de la convention et celles du règlement d’application, ce sont les premières qui prévalent, ainsi qu’en dispose l’article 164 de ladite convention.

Or le conseil d’administration de l’OEB n’est pas compétent pour modifier une disposition de la convention elle-même, en particulier l’article 53(b), au moyen d’une modification du règlement, ainsi qu’il a fait le 29 juin 2017 avec la règle 28.

Il s’ensuit que pour la chambre de recours technique il n’y a pas de raison de déroger à l’interprétation de l’article 53(b) donnée par la Grande chambre de recours dans ses décisions G 2/12 et G 2/13. L’interprétation résultant de l’avis de la Commission européenne n’est pas pertinente dans la mesure où elle n’a pas été confirmée de façon juridiquement contraignante, par exemple par un arrêt de la Cour de justice.

Cette décision marque donc un retour au point de départ et crée une incertitude juridique.

Lors de la 159ème session du conseil d’administration de l’office du 29 mars 2019 les représentants des 38 états contractants ont approuvé la décision du président de l’office à renvoyer l’affaire pour avis à la Grande chambre de recours sur la question  de la brevetabilité des plantes obtenus par des procédés essentiellement biologiques.

La question est donc toujours à suivre.